lundi 22 février 2010

Mots de famille

Lire et écrire est ma passion. Une de mes passions, devrais-je dire. La Vie en soi étant une passion, prendre des marches, le fou rire des enfants, le printemps qui éclate sous nos yeux, un café bien corsé et l’odeur de lavande dans la lingerie sont en lice pour la Palme d’or. Voyager est aussi une passion, découvertes inéluctables de chaque instant. Et je crois que la famille, c’est un grand voyage d’aventure qui nous apprend à gérer nos passions.

On rêve d’une destination, mais c’est le voyage qui nous transforme. On peut le décrire comme un long processus où la Vie est plus forte que nous, où les imprévus nous gouvernent deux fois plutôt qu’une. C’est à partir du moment où l’on se dit Ensemble, c’est tout *, que l’on accepte les rites de passage, que ce voyage sera des plus passionnants.

Le premier rituel à traverser semble être de l’ordre du sommeil. Tous les rêves éveillés en préparant la chambre du prophète , en rangeant sa lilliputienne lingerie, en installant le mobile au-dessus de son berceau enchanté de broderie anglaise, se transforment à un moment ou à un autre, en nuits hachées et cernes autour des yeux. Crème Contour de yeux lissant jeunesse rajeunissant et revitalisant et triple espresso à l’aube n’en viendront pas à bout. Le bulletin de nouvelles paraîtra complètement insipide comparé aux gazouillis de l’être céleste qui vient d’entrer dans notre vie. Mais on est prêt à tuer pour une sieste ou une nuit complète.

Qu’à cela ne tienne, le paysage est envoûtant, et on est alors prêt à accueillir un autre membre dans notre tribu, digne d’un autre rituel. Parce qu’on est envahi de purée, que son seul sourire nous fait tout oublier et que les livres des experts (en voyage) nous rassurent en disant que de toute façon, lorsque notre enfant fera son entrée sur le tapis rouge de l’école, il fera sûrement ses nuits… nous poursuivons notre mission.

La poussette double, les chats, chiens et canaris s’ajoutent au parcours. Il y a quelquefois des tempêtes en mère, des marées hautes et basses. Le kit de survie devient alors les amis qui viennent nous rappeler que nous existons aussi en dehors des montées de lait, des poussées dentaires et des crises existentielles d'ado. Ces amis-là, on doit absolument les inscrire dans une trousse de secours. En gras, surlignés, sur le disque dur et en back up dans un réseau…parce que même si nous avons un peu plus le pouvoir de choisir, dans ce troisième millénaire, cette expérience nous transmute vers des sentiers amazoniens jusqu’alors inexplorés. Il ne veut pas manger de légumes, malgré les formes acrobatiques de soleil dans son assiette, LA dent ne veut pas pousser, une crise d’urticaire qui surgit, il ne fait toujours pas ses nuits, il ne veut pas aller sur le petit pot, tient mordicus aux petites roues de son vélo «de grand», refuse obstinément de s’habiller le matin alors qu’on est attendu au bureau… et quelques années plus tard, sa chambre semble avoir été le siège d'un attentat!

Alors que nous lui proposons de lire des contes des frères Grimm, il ne pense qu’à faire affronter une colonie de chevaliers et de dragons, les Playmobil remplissant le salon. Alors que nous rêvions d’une promenade en vélo, ce sont les cris et hurlements qui nous feront revenir bredouilles à la maison. Tous ces rites de passages mériteraient à chaque parent un prix Nobel. Surtout après la traversée de l’adolescence.

C’est aussi cela une famille.


La famille est mouvance. Rien n’est statique. Ce sont les amis de nos enfants qui s’installent un peu plus chaque jour avec nous et qui nous chavirent le cœur quand ils ne franchissent plus la porte. Ce sont les moments de solitude chèrement souhaités qui n’ont pas l’effet escompté lorsqu’ils deviennent disponibles. C’est le couple qui change soudainement d’aspiration. C’est un être cher qui n’est plus de ce monde.

Une famille, c’est écrire à partir de zéro. Elle se compose et se recompose. C’est une histoire à inventer, des personnages à enfanter. Une fois sculptés, ils prendront forme et vie, sans que l’on puisse contrôler le déroulement. Ils sont à la fois autonomes et dépendants de notre plume. Ils surprennent toujours l’auteur et arrive un moment où s’amalgament l’histoire, l’auteur et les personnages.

Comme une œuvre d’art*, unique, elle est captée différemment à chaque moment où l’on crée, ne se reproduira plus jamais avec la même couleur, la même odeur, la même essence. La famille est intemporelle, dans un espace temps indéchiffrable et planétaire. C’est sa grandiosité qui nous fait nous découvrir le Monde. C’est seulement en s’abandonnant à sa sagesse que nous pouvons en profiter et contribuer à la récolte. Et quoique nous avait promis notre agent de voyage, la route aura été bonne, car nous ne serons plus jamais les mêmes. Nous aurons réussi à transmuter les lois apprises et à rendre des choses vivantes.


* expressions tirées des titres de livres suivants :
Ensemble, c’est tout, Anna Gavalda, le dilettante
Lorsque j’étais une œuvre d’art, Eric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel

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