vendredi 26 mars 2010

Personnage: Julie

Dans le blanc des cieux


Elle n’était pas encore au bureau que déjà exténuée. Le réveille-matin qui n’avait pas fonctionné avait provoqué un raz-de-marée organisationnel qui s'agençait à la tempête de neige qui débutait. Nous étions le 22 décembre, dernière journée de classe pour Mathilde et Rose. Les biscuits en pain d’épices, réclamés pour la fête de Noël à l'école, avaient été préparés la veille au soir en catastrophe, entre deux courriels. Déposés gracieusement dans une boîte décorative, ils venaient d’être dégustés par Édouard pendant qu’elle se douchait. La pénurie de café n’aidait en rien l’humeur de Julie, déjà à cran, abasourdie parmi les sacs à dos, à lunch, et les cadeaux destinés au personnel enseignant et éducatif. Où donc se trouvait le portable?


Prendre de grandes respirations, se dit-elle. Les reconduire à l’école et à la garderie dans une atmosphère sereine, de façon à ne pas laisser transparaître la dose extrême de stress qui doit faire grimper mon taux de cortisol dans une zone critique. Il ne restait que deux jours pour remettre la maquette au client, ce contrat détenant une valeur financière et politique inestimable pour le président de direction Bellefleur. Mais pour l’instant, il manquait encore des mitaines. Une pour Rose, et celle d'Édouard. Ouvrir le coffre aux trésors d’hiver et compléter avec un autre aménagement, des plus originaux. Installer les enfants dans la voiture, aller reconduire d’abord les filles à l’école, ensuite Édouard à la garderie, gérer les bagages en se demandant une fois de plus pourquoi leurs sacs à dos sont si lourds.

L’expédition de transport quotidienne enfin effectuée, espérant se remettre du bon pied, elle nicha un CD de Frank Sinatra dans le lecteur, ce qui l’enveloppait à coup sûr d’une époque plus romanesque que celle d’actualité marathonienne. Dans la poudreuse écoute de musique d’ambiance, la neige s’emmêla dans la partition, se mit à saupoudrer la région d’une pellicule blanche opaque comparable à une avalanche de sucre à glacer, avec une vigueur imprévue des météorologues. En l’espace d’une heure, la photo satellite de la circulation ressemblait à un collier coloré de voitures dans de la ouate enlacée sur la chaussée.

Le retard de Julie s’accentua avec la panne d’électricité et du réseau informatique qui l’accueillit à son arrivée au bureau, avant même qu’elle se serve l’espresso si attendu. Elle fit malgré tout une réunion de travail, qui sentait à plein nez les préparatifs de Noël. Elle observa soudainement les regards cernés et les gestes saccadés de l’agitation pré-fête, réalisa que tout ce baratin aggravait la tension, déjà sous haut voltage depuis le matin. Tous étaient pris d’un fou rire incontrôlable.

- «Y ‘commence à faire froid et le Père Noël risque de nous faire un grief si on n’a pas fini d’acheter les cadeaux des enfants», dit le plus téméraire de la nouvelle équipe.

Ils renchérirent aux propos en signalant qu’ils n’avaient pas encore de traction intégrale, qu’il commençait effectivement à faire froid, que le manque de caféine paralysait leurs fonctions cognitives. Sans l’ombre d’un doute, il serait plus « convenable» de se souhaiter d’emblée de joyeuses fêtes et de finaliser le dossier dès janvier. Sans qu’elle eût le temps de jauger les tenants et les aboutissants d’une décision, une parade de Kanuk défila devant elle, des embrassades et accolades furent distribuées, des cellulaires émirent des airs à la mode du moment. Le claquement des portes résonna en écho aux tintements des clochettes accrochées aux poignées. Son enseigne Julie Villeneuve architecte s’effondra sur le sol avec un bruit de foudre s’abattant sur un arbre. Elle se retrouva seule avec des exemplaires décorés de corrections à effectuer. Pour le lendemain. Elle fixa les maquettes comme on observe des images de tsunami sur CNN, et ne pouvant accéder à son ordinateur, emballa le tout, vérifia être la dernière sur l’étage, mit en fonction le système d’alarme et quitta.

Elle devrait donc travailler ce soir chez elle et présenter sa version définitive à son patron dans au plus vingt-quatre heures. Les merveilles de la technologie, se dit-elle, découragée. Il avait mentionné, avec la voix grave et les sourcils froncés, le 23 décembre comme date butoir, que rien au monde ne pourrait enfreindre cette promesse. L’acquéreur recevrait son plan à la date indiquée sur le contrat, à n’importe quel prix. Cet ultimatum avait été décrété pas plus tard qu’hier, en revenant d’un dîner bien arrosé avec ce client et son attaché de presse.

En nettoyant sa voiture, enfouie sous la neige, des rêves de vacances et de bord de mer, de traiteurs, d’aides domestiques, de nounou, l’assaillirent de plein fouet. Il y avait quelque chose de gracieux à laisser libre cours aux images qui s’amalgamaient dans son imaginaire.

Julie s’était engagée sur la route avec automatisme, mais fût saisie par l’adresse et la concentration qu’exigeait le véhicule sous l’emprise de la chaussée enneigée. Une journée ratée, pensa-t-elle. L’énergie faillait à la demande. La liste des courses à effectuer avant de rentrer chez elle, sans compter les modifications à apporter au projet, envahissait son cerveau. Et Philippe partit sur un plateau de tournage pour deux jours encore. Ce qu’il lui manquait!

Quand enfin elle arriva à la maison, des vêtements, bottes et sacs à dos jonchaient sur le sol. Elle dut effectuer une embardée pour réussir à affronter le seuil de la porte d’entrée. Le décompte rapide du nombre de chaussures permit de constater qu’il y avait plus de pieds que ceux de ses enfants. Des détritus de tartines de confiture étaient restés sur la table de cuisine. Croûtes abandonnées, sans une assiette pour déguster, sans un napperon pour les égayer. Des traces de lait au chocolat avertissaient du parcours franchi depuis leur retour. On apercevait un semblant de rangement des effets scolaires : les reliquats qui gisaient dans la salle à manger s’affichaient comme preuves. Marianne, la gardienne appelée en renfort pour aller les chercher à l’école et à la garderie, semblait, elle aussi, comme ses employés, dans un état de grâce de congé.

Julie se sentit furieuse de trouver la maisonnée dans cet état. Des sacs d’épicerie et d’achats de Noël plein les bras, elle s’engouffra dans ce chaos en prenant de grandes respirations. Celles qui annoncent les changements. Ça ne peut plus durer comme ça, s’avoua-t-elle, en se regardant dans la glace. J’ai l’air de revenir d’un vol de nuit sur Air Transat.

Quels changements Julie apportera-t-elle? De quoi s'agit-il? Que se passera-t-il ensuite?
Laissez aller votre imagination...

1 commentaire:

  1. Hmmmm, décidera-t-elle d'écouter ses "je veux" un peu plus? Ira-t-elle se promener seule pour se réfléchir et rencontrera-t-elle quelqu'un qui lui apportera une lumière?

    RépondreSupprimer