vendredi 3 septembre 2010

Voir le monde au marché

J’ai habité le marché Jean-Talon, hier, dans cette jungle de fruits et légumes parfumés de boutiques aux mille odeurs et mille saveurs. J’avais avisé mes complices de voyage du fait que je devenais légèrement hystérique devant les étals de basilic, de courges, de cerises de terre, de mannes de tomates, exigeant un choix tourmenté face aux épices du monde et à l’ivresse des huiles d’olive.



Par-dessus le marché, on aurait juré que le thermomètre indiquait cinquante degrés, minimum. Les marchands semblaient déjà déshydratés, quoique tôt dans la matinée. Les victuailles, s’agrippant à nos bras au fil des allées, annonçaient un air d’auto cuisson. Mais puisque j’avais la fantaisie de la jouer à l’italienne, quoi qu’il advienne, j’ai poussé l’audace jusqu’à me procurer un moulin à légumes pour opérationnaliser une orgie de sauce tomates, de pestos, en finalisant l’excursion à la célèbre quincaillerie Dante. Équipée, me retrouvai-je, et exténuée. Comme si un orage électrisait l’hospitalité du personnel du magasin, habituellement si sympathique, mon éloge au regard de cette « institution » a échoué face à mes amis. Ni Stefano ni Elena présents pour nous stimuler avec leurs conseils.

C’est en se promenant dans les marchés que l’on connaît un peuple. Le nôtre se définit luxuriant, joyeux, et… agité. Un homme en fauteuil roulant, filant à toute allure, a semé d’injures Boucar Diouf afin qu’il « dégage » du chemin. Ce charismatique Boucar m’a dit, sourire en coin, qu’on ne peut être handicapé et imbécile à la fois. Je l’adore d’avoir choisi notre pays, de nous miroiter avec de si belles manières, nos sordides incohérences.

Ce coin de planète, toutefois, je ne l’échangerais contre nul autre. Je préfère nos routes criblées de nids-de-poule et de cônes orange aux bombes, et j’accepte avec véhémence l’inertie décisionnelle de nos ministres en échange d’une dictature où les femmes ne bénéficient d’aucuns droits et risquent leur vie à se promener seule au marché. Et même si mes plantes se meurent en raison de l’interdiction d’arrosage imposée depuis juillet, nous bénéficions de cet or bleu que plus de la moitié de la population mondiale rêve de s’abreuver.

2 commentaires:

  1. WOW, j'ai envie de courir vers le marché.
    Viva l'Italia et la sauce tomates maison, Vais-je la goûter?

    Gi

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  2. je viens de rattraper du retard dans mes lectures de ton blogue. C'est toujours un pur délice! Merci pour ton écriture, ta fraicheur, ta spontanéité et la coloration juste de tes écrits. Isabelle

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