mardi 28 septembre 2010

L'écrivain doit vivre

Il n’y a pas que les écureuils tristes le lundi à Central Park de Katherine Pancol. Il existe le triste sort d’un écureuil de Terrebonne qui n’a pas survécu à son destin d’emmagasineur de noix. Tout a commencé parce que je retarde toujours le moment de faire rentrer au bercail mes plantes, l’automne venu. En particulier ma Loulou, car elle adore être dehors et qu’elle atteindra bientôt le plafond du salon à la vitesse où elle s’épanouit. Qui est ma Loulou? C’est mon végétal fétiche, qui m’a été offert par mon amie Louise qui demeure en face de chez moi. Celle qui avait des hommes sur son toit la semaine dernière. Un jour où j’étais très malade, elle est arrivée à ma porte avec ce magnifique arbuste, sachant qu’il serait une présence réconfortante dont j’avais cruellement besoin. Je l’ai baptisé Loulou, et tout l’hiver durant, il me procure un coin d’été dans ma maison. Parfois, j’entends la salsa de ses feuilles, certaines nuits d’insomnies.



Voilà le jour venu où je dois rempoter ma Loulou. Je sollicite mon chéri  pour aller chercher l’attirail, terre et compagnie. Il revient tout penaud dans la porte, ne sachant comment m’annoncer la chose, moi qui ai une propension aux mélodrames, possédant une sorte de gènes de téléromans québécois. Je lui demande ce qui me vaut cet air de feuilles rougies. Comme pour amortir le choc, il me propose d’attendre encore quelques jours pour accueillir Loulou, et réclame sacs plastifiés et détergents, ce qui me semble déjà louche. Je dispose aussi de chromosomes hérités des thrillers policiers. Je « monte au front » pour débusquer l’énigme. J’apprends qu’un écureuil s’est noyé dans mon pot-tout-neuf qui ornementera ma Loulou. Beurk! Cette bestiole venait régulièrement fouiner autour de ce récipient, que naïvement j’avais interprété comme la magie du destin. Il aimait mon nouveau réservoir à provisions, mais pour constater que, finalement, la curiosité et l’intrinsèque besoin d’amasser des noix lui ont coûté la vie. Comment Loulou composera-t-elle avec cette tragédie au moment où elle devra déployer ses racines?

Je n’ai évidemment pas rempoté ma plante. Non plus raconté l’incident aux enfants qui auraient proposé presque un enterrement au jardin avec crémation chez Urgel Bourgie. Ayant failli tomber dans les pommes en imaginant trouver le cadavre, et j’ai songé, pour la circonstance, inventer une cérémonie : « la cérémonie des pommes », à défaut de celle du thé. Ce qui m’a fait réfléchir aux multiples événements qui honorent le quotidien d’une maisonnée. Je me considérais décidément à mille lieues d’une zone protégée où l’écrivain est cloîtré dans son bureau pendant des mois, de préférence à l’extérieur du pays, dans un décor de bord de mer, débusqué de ces milliers d’émotions à la sauce familiale. Mais d’autres surprises m’attendaient. Une fois remise à mon clavier, cherchant des données sur Marguerite Yourcenar, pour un projet d’écriture, le Web me propulse sur une de ses entrevues portant sur « le paradoxe de l’écrivain ». Je suis alors pétrifiée devant le discours de Marguerite, qui déclare en grande pompe que « l’écrivain doit vivre ». Ça semble banal, raconté comme cela, mais détrompez-vous. Cette illustre écrivaine sait de quoi elle nous entretient : « le grand écrivain est intégralement en attention avec qu’il ressent, ce qu’il éprouve, est immergé de l’univers qui l’environne. Il utilise des millions de remarques qui ont traversé son cerveau à partir de petites sensations, des moindres détails. De l’anxiété, la terreur, dans l’éternuement, la fuite d’un danger, l’existence se révèle. Bref, l’écrivain doit VIVRE ».


Marguerite Yourcenar 1903-1987
 Me voilà quelque peu apaisée. J’ai la permission de poser un chapeau de créateur à travers les labyrinthites, les chicanes territoriales, les pâtés chinois réclamés, les fantômes de bas, les bulletins en mandarin, les factures à régler, les lumières au xénon à changer au garage, les brassées de lessive oubliées, mes vêtements disparus. Marguerite le dit, le moindre détail a une valeur d’extrême réalité. Toutes les sensations, petites et outrageuses, comme le décès d’un écureuil dans son pot à fleurs, seraient, selon Marguerite mon idole, de la matière à composter un récit. Immergée dans un environnement aussi vivant, Dieu merci, je suis choyée. Merci Marguerite.

2 commentaires:

  1. Mon Dieu que j'adore ta forme d'écriture; t'es mon idole! Mimi

    RépondreSupprimer
  2. La version des écureuils de Terrebonne de Jasmine
    Pancole oufff... Potvin me plaît bien. Écrire a partir des petites choses du quotidien c'est génial. Tu as vraiment une sorte de gêne de téléroman québécois !!!
    Alors OUI "L'écrivain doit vivre"

    Gi

    RépondreSupprimer