mardi 21 septembre 2010

Quitter les pantalons mous

La vie est risquée. Mon fils, celui qui avait perdu mon Word, a installé avec fière allure et voix de baryton, le nouvel Office 2010 (version française). Au comble de la joie, je l’ai valorisé dans tous les sens des poils de son duvet, car ma version en anglais me causait bien du souci. Comme la vie est un chantier perpétuel de risque, je n’ai plus accès à mon logiciel de révision Antidote. Très risqué. Dans le feu de l’action de l’écriture, je perds parfois toute notion corrective élémentaire. Ce qui m’inspire, dans cette notion de risque, ce sont les ouvriers qui œuvrent à refaire le toit de la maison de mes voisins. Moi qui aime tant l’énergie des chantiers de construction, qui s’apparente à celle d'une ruche à abeilles, eh bien là, j’en ai le vertige. Je vous jure que je vais fermer les stores pour ne plus les voir –mon bureau est devant la fenêtre, ce qui me prédispose à toutes les surveillances de la rue - car cela me déconcentre terriblement.



Ce travail de haute voltige, appliqué jour après jour, me les fait décrire en héros. En même temps, cela fait surgir en moi le concept des héroïnes de variations hormonales féminines. Certains matins, j’ai l’impression d’avoir chuté du dixième étage, alors que quelques jours plus tard, je plane sur les toits en jouant du violon (ou de la poésie, c’est selon). Comme ce matin. Après la chute libre des derniers jours, je suis ragaillardie de je-ne-sais-quoi. C’est ça le pire. Comme une voleuse, les œstrogènes t’attaquent pendant ton sommeil, te fait péter les plombs parce qu’il faut ENCORE préparer un repas, parce que tu n’as pas le temps de te faire un masque, que tes jambes sont sur le point de se rendre d’elles-mêmes chez l’esthéticienne pour l’épilation, que t’as oublié la brassée dans la laveuse et qu’il faut recommencer, que t’as l’air d’être en convalescence d’une grave intervention chirurgicale avec tes joggings plus mous que mous et ton bandeau pour retenir tes cheveux ébouriffés. Les œstrogènes dans le plafond, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Mônica Freire et Norah Jones réunies ne peuvent venir à bout de ce moral fracassé. Tu restes cloîtrée dans ta bulle des impossibles et persuadée que ta vie est finie, ratée, préparant quasiment un discours d’adieu. Et cette sensation s’acharne sur toi comme du Nutella sur les couteaux (que les enfants ne rincent jamais suffisamment et qui collent au lave-vaisselle).

Sans que tu détectes le geste qui changerait la trajectoire, à moins que ce soit le visionnement des Parents ou de La galère, tu ouvres l’œil du matin avec bonne humeur, sans courbatures ni boursoufflures. Tu enfiles tes jeans, quoique la taille soit encore un peu trop basse, mais tout de même, tu réussis à te vêtir selon un certain design, poussant l’audace jusqu’à mettre du rouge-à-lèvres couleur bouche-de-feu. Tu retournes les appels sans le trémolo dans la voix, tes dossiers reprennent du service sans simuler l’effondrement des tours du Word Trade Center. Comme par magie, les phrases s’alignent sur l’écran, et finalement, le projet d’écriture amorcé n’est pas à jeter aux ordures.

Au fond, nous sommes toutes des héroïnes de nos hormones. Depuis toujours, des femmes ont vécu (et écrit) avant moi. Je les laisse donc errer dans ma psyché. Elles m’habitent, et là je peux les entendre. Elles revendiquent leur place dans les gestes du quotidien et je m’immisce tout doucement dans les fragments de l’Histoire.

1 commentaire:

  1. Bonjour Jasmine, je trouve MERVEILLEUSES tes chroniques. C’est d’une poésie à lire tout en étant très simple à comprendre.

    Je sens une légèreté, une authenticité et un confort familiale en lisant toutes ses lignes de textes.

    MERCI de me faire vivre toutes ces belles émotions en lecture et tant que tu en aura envie, continue.
    Bonne journée :O)Nancy

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