vendredi 9 avril 2010

Marguerite ou l'éloge de la différence

Sous un tipi de haricots grimpants

Du plus loin qu’elle se souvienne, elle était différente des autres. Il y avait des mélodies de mots dans sa tête, elle entendait des histoires fantastiques de la bouche des coquillages, les peinturait de toutes les couleurs, et adorait s’étendre sur l’herbe humide à écouter tomber la pluie.

Lorsque les enfants de sa classe se querellaient en jouant au ballon, elle se questionnait sur la guerre et se disait qu’à ce moment même, à un autre endroit, la planète était criblée de chagrins.

Lorsque les premiers flocons de neige valsaient sur notre calendrier, elle échafaudait des formules mathématiques pour comprendre la structure des flocons. Elle se demandait aussi s’il existait une espèce de zumains sur les étoiles, convaincue qu’elle les rencontrait dans ses rêves.

Au fil des années, elle a connu toutes les traversées : élevée au charbon, elle s’est éclairée à la chandelle, a vu les hommes partir à la guerre, s’est déplacée avec des chevaux. Elle a fêté le miracle d’un réveil dans une maison chauffée, du premier téléphone, de la lessiveuse automatique, d’un café au percolateur.

Elle a enseigné dans une école de rang et a toujours préservé les différentes couleurs des âmes de ses élèves. Pour Marguerite, assumer sa différence, quelle qu’elle soit, a toujours été une valeur sûre. À l’époque où les femmes n’avaient pas le droit de vote, elle a eu son mot à dire, à signer, et malgré les lois restrictives, elle a osé. Elle a pris la parole, elle n’est pas restée silencieuse. Elle a briqueté ses projets d’avenir, tissé sa mémoire, brodé l’avenir de ses filles même les yeux humides. Elle a cousu du style, de la grâce et avait un charme unique en son genre. Elle voulait la liberté pour ses filles, la passion comme héritage.

Marguerite a toujours aimé les histoires. Elle en raconte encore, mais c’est désormais à sa petite-fille Charlotte. Le temps a fait son œuvre, se maquillant de différence.

Alors que Marguerite enseignait à douze élèves, à l’époque, Charlotte développe ses compétences transversales ou horizontales avec deux mille trois cents élèves. Alors que Marguerite a accepté à bras portants la vie grandissant en elle, Charlotte aura l’odieux poids du choix. Alors que Marguerite se baignait dans l’eau propre du fleuve, Charlotte navigue sur internet et se questionne sur l’or bleu menacé. Le soleil quant à lui, est associé désormais à un indice de protection du cancer alors qu’il a déjà été une bénédiction du ciel.

Marguerite et Charlotte ont des rendez-vous doux, accordés et fluides comme le temps. Elles se promènent dans les sentiers de la forêt, la connivence en écho. Charlotte a le cœur en bandoulière et la tête à l’envers de sa peine d’amour. Elle gronde sa révolte face aux injustices, ne pouvant accepter les choix de société face au système de santé, d'éducation et de protection de l'environnement.
- Que veux-tu faire avec cela? lui demande Marguerite.

- Je vais trouver… dit Charlotte, en trouvant déjà un réconfort certain lorsqu’elle observe sa grand-mère cueillir des têtes de violon. Cette façon de conjuguer avec les incohérences en se centrant sur le pouvoir qu’elle a, qu’elle prend, au quotidien, restera un souvenir indélébile de sa grand-mère.

Elle lui a déjà dit un jour que les moments les plus difficiles trouvent leur solution après un bon thé chaud et un gâteau au chocolat. Ce n’est pas le genre de conseils auxquels on pourrait s’attendre d’une grand-mère. Mais Marguerite a toujours été différente.

Marguerite constate le miracle de la maternité en éprouvette, alors que d’autres dénoncent cette découverte. Elle a toujours respecté l’œuvre de la vie et les tournants musicaux qu’elle peut prendre parfois. Elle fait confiance. Si on tend l’oreille, on peut entendre son hymne à la différence.

Elle invite maintenant Charlotte à lire Simone de Beauvoir et à savourer une glace à la pistache sous un tipi recouvert de haricots grimpants, construit de tiges de bambou. Cet après-midi, elle lui offrira un chapeau de paille, lui apprendra à faire sécher un bouquet de fines herbes pour l’hiver qui s’en vient. Elles planteront ensemble des pivoines groseilles dans le jardin.

Marguerite n’a aucun regret de sa vie. Elle a osé prendre le plus grand risque qui soit, être soi-même. C’est ce qu’elle souhaite pour sa petite-fille, et toutes les autres.

1 commentaire:

  1. Je crois que tu parle de toi , de ta mère , de ta grand-mère mais c'est si beau que j'en met mes tulipes a laver si ce n'est pas vrai

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