vendredi 10 février 2012

Petits papiers en garde partagée



Pourquoi écrire? Tant de questions, de tergiversations, d’épineuses discussions, et si peu de réponses claires. Devant ce flou, j’ai déposé mon encre sur la première page d’un cahier rouge Claire Fontaine, mon journal d’écriture. La vocation de ce carnet est d’absorber le libre jeu de la pensée, d’être le lieu pour « processer », pour acheminer les jalons d’histoires sur la plage de la création, et surtout pour représenter l’allié chevronné affrontant le dragon qui s’immisce dans le cerveau et brûle les doigts en touchant le clavier à certaines époques charnières.

Au moment de passer à l’action, la force de capitulation bat son plein. Elle percute de plein fouet tous les gestes qui permettent la poursuite de l’objectif. Car l’ombre de l’inconnu est opaque et terrifiante.

C’est donc en relisant mon manuscrit, tout enflammé du projet 2012, en suivant à la lettre la planification orchestrée et bien ficelée, que mes Billets gourmands ont failli, à un paragraphe près, rejoindre les bûches embrasées dans le foyer. Comme sur une table de jeu, rien ne va plus, a dit la voix du croupier conspirateur de l’abdication. Je devais ressembler à Robinsonne sur l’île du rêve échoué.

Mon amie R. s’est amenée subito presto pour casser la croûte et aussi le dessein de destruction massive du document. « Un peu de distance, un certain recul est crucial, qu’elle m’a dit entre deux gorgées de capuccino. Il faut de l’air, du temps et de l’espace pour que la forme s’amène ». C’est là plus que jamais que j’ai compris que production et création ne sont pas membres de la même famille. La capacité de tolérer le chaos, le désordre, le vide, l’impasse, fait partie des ingrédients que j’avais omis de mon menu, trop centré sur l’efficacité.

La muse est repartie avec mes papiers enlacés et enrubannés, comme une trêve proposée à un parent après une fête d’enfants, devant la maison déclarée zone sinistrée, le sol jonché de débris de jouets, de flûtes et d’extraits de gâteaux, telles des empreintes sauvegardées comme preuve qu'on ne s'y reprendra plus jamais.


Mon manuscrit est en garde partagée. Je me consacre à d’autres mots, pour quelques jours ou semaines,  jusqu’à ce que je sois en mesure de le recevoir avec un esprit renouvelé et plus expansif aux aléas de la vie commune. Merci mon amie pour cette bouffée d’air frais.

Djoma Djumabaeva, huile sur toile, 2000


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