jeudi 27 septembre 2012

Quand les voisins débarquent



J’ai toujours cru que j’étais un être sociable, avec un esprit communautaire, dotée d’une tolérance extensible face à certaines habitudes du voisinage. Même si j’ai aussi toujours affichée ma désolation face à l’absence architecturale et écologique du développement d’artères commerciales, aux agglomérations construites à la hâte, effrénées, j’ai persévéré à investir sur le respect de mon environnement et cru au pouvoir du moindre petit geste.

Au moment hautement émotif de la nidification familiale, cherchant un cocon bienveillant pour la progéniture, nous avons choisi de s’installer dans un quartier enfoui sous un dôme d’arbres : érables, chênes et conifères centenaires conféraient une atmosphère protégée des trépidations stressantes de la vie. C’était il y a une dizaine d’années. Ma seule crainte était que mon fils se perde dans le coin «forêt » derrière l’école. C’est pour dire.

Au fur et à mesure de coups de marteaux frappés à l’ère de la construction immobilière, des lots et des lots ont subi la coupe d’arbres pour accueillir de nouvelles maisonnées. Je me disais que ce devait être les dernières des dernières, au risque de perdre le boisé que nous avions tant aimé. Il s’avère possible d'oser défricher jusqu’aux derniers retranchements.

Il y a un mois de cela, des grues de toutes sortes ont débarqué, éventré la forêt restante, et dessiné une allée digne d’une autoroute. On fait place à un nouveau développement. Ne reste que quelques arbres survivants pour agrémenter le décor. Des saccages au nom de l’économiiiiiiiiiiie.



Au même moment de ce deuil domiciliaire, un nouveau voisin s’est installé avec cor et trompette derrière chez-nous, construisant un immense cabanon – on dirait un garage- tout le long de notre terrain,  une vision barbaresque de la vie communautaire. Feu mon territoire protégé, feu mon espace cocooning, fin de la naïveté banlieusarde. Moi qui voyait vert, je vois rouge. Je fulmine.  



L’étau se resserre vers un départ. Cherche coin de campagne à l’abri des bêtises. 


Un ado, des muscles, des protéines


 Nous sommes, familialement parlant,  à composer avec l’adolescence. Un dernier sprint, un dernier soubresaut, une dernière virée. Notre troisième.


Ces temps-ci, le courant musculaire bat son plein, les muscles ont la cote, la virilité négocie avec le duvet. À chaque génération, son style. Le dernier de la tribu, connecté par intraveineuse à son ordi  depuis quelques années, vient de s’infiltrer dans la tendance bodyform.


Deux ou trois soirées par semaine sont consacrées à suer, à expectorer toutes les toxines du corps en hurlant des sons gutturaux avec le taekwondo. Enfin, il bouge. À fond la caisse.


Mais ce n’est pas suffisant. L’intensité s’agrippe aux neurones décisionnels. L’argument est de poids : plusieurs groupes musculaires sont en carence de sollicitations, proclame-t-il. Qu’à cela ne tienne, se dit-on, puisque nous rêvions du jour où les loisirs différeraient du Web. Nous entérinons la demande: l’inscrire au centre d’entraînement, sous le feu des appareils étincelants de promesses.

Une surabondance de produits poudrés avec images de body de fer – ou d’enfer – encercle la piste. Des étalages complets sont présentés afin de contribuer à la réussite du « programme ». Un surplus de protéines est essentiel à son développement, explique l'ado, articles et documentation à l’appui. Un nouveau vocabulaire est désormais introduit en matière de nutrition : protéines, glucides, fibres, minéraux. Celui qui a toujours chipoté devant les plats cuisinés « maison » réclame avec ardeur de la nourriture saine et nutritive, apporte des collations santé, lève le nez sur les croustilles. Il pèse le pour et le contre de ses choix alimentaires… et monte sur la balance de ses gestes. Qui l’eût cru! Un nouveau client pour le Bistro Jasmine.