lundi 31 octobre 2011

Si Trouille se racontait

Trouille existe depuis très longtemps, une faculté intégrée afin de s’installer un moment sur la Terre. On la cuisine depuis huit mille ans d’histoire, au bas mot, de la table aux contes et légendes. Trouille fait partie de nos racines ancestrales. Née d’une famille élargie de cucurbitacées, elle a toujours eu l’impression grossière de prendre trop de place. Ses cousines, élégantes et allongées, volaient allègrement la vedette, par leur blondeur et leur sveltesse. Trouille se retrouvait inévitablement sur les perrons comme lanterne et ornement, avec son orangé impétueux.

Si trouille m'était contée, oeuvre de Marcel Gagnon

Un jour de frimas précoce d’automne, réfugiée dans la démesure d’un chariot rocambolesque rempli de ses semblables, elle a décrété que sa vocation d’être transformée en carrosse ou en fable avait atteint sa pleine capacité.

- C’est vrai que je fais partie de la culture du « slow». Je germe au printemps, patauge au jardin tout au long de l’été, pour couronner tardivement à l’automne. Dans une société axée sur le clinquant du « fast », j’avoue que je signe dans l’excentricité. Qu’à cela ne tienne, je relèverai le défi, coûte que coûte, à prix haché.
Arriva la ribambelle de grands chefs qui misèrent sur les vertus du « local », sur les bienfaits des produits du terroir, sur cette mentalité de « faire avec ce qu’on a ». Pendant que l’équipe adverse des carnivores brûle les terres et sape l’or bleu de la planète, au jour des 7 milliards d’êtres vivants y habitant, la voilà convoitée enfin pour ses qualités non réclamées à ce jour. Elle n’a rien gagné de ses mérites qui n’ont pas été travaillées d’arrache-pied.

Elle a de la racine de vainqueur. Bien cuisinée, elle est dotée pour être à la hauteur d’un plat de résistance. Elle a conquis les palais récalcitrants : charmée de cari et de lentilles corail, par exemple, on la reconnaît versatile en salé ou en sucré. En potage ou en mijoté, en biscuits, en muffins, en solo ou avec ses cousins légumes, elle est équipée pour ravigoter.

Trouille craint toutefois le découpage. On verse alors quelques instants dans le cardio, avec de bons outils ou de bienveillants amis, c’est selon.

Elle est fidèle toute l’année durant : on peut la congeler, en purée, pour les moments gris de l’hiver rugueux qui s’amène. De tout son feu, c’est un modèle de persévérance et d’affranchissement qui m’a conquise.


Pour des recettes :
Sous le charme des courges et des citrouilles, de Louise Gagnon (Éditions de l’Homme)

et les miennes, cette semaine…

jeudi 27 octobre 2011

Zénitude

Il y a du bruit, partout, tout le temps. Pour étouffer cette cacophonie, on superpose de la musique. Si elle est syntonisée à la radio, ce sont les publicités, les nouvelles du monde, les discussions qui ont lieu comme fond d’écran pour les tympans. Le silence semble devenu une espèce de voix en extinction. Il faut se réfugier très profondément dans la forêt, loin de la civilisation, des antennes, des pylônes et grandes artères pour caracoler avec cette ressource apaisante devenue grégaire.


Pendant que les outardes repartent à grands cris, j’ai tenté de capter leurs chants glorieux, leur nature sauvage et instinctive. J’ai marché dans les sentiers de la TransTerrebonne, circuit de plusieurs kilomètres aménagé pour les banlieusards en soif d'espace. Le week-end, c’est une autoroute de marcheurs, cyclistes et skieurs de fond, mais pendant la semaine, je déniche parfois des moments de grâce, soit quelques arpents de sentiers en lacets sans civilisation. J’en reviens immanquablement constellée d’idées branchées, joues rosies et poumons ravitaillés en oxygène. Avec cette impression narcissique que les zoiseaux gazouillent juste pour moi. Et à chaque reprise, je ne comprends toujours pas les raisons qui m'empêchent de forer cette mine d'or à deux pas de chez-moi.

Un petit clin d’œil sur la zénitude. Une alliance entre les chuchotements de la nature – si rarissimes qu’on en fait des vidéos — et une créativité musicale enjôlante. Merci à Mimi pour l’envoi.



mercredi 26 octobre 2011

Il est minuit

Il est minuit, l’heure où l’œil de la nuit est censé s’amender des facéties du jour. Mais là, il épie la volupté d’une maison qui dodeline vers le sommeil et en semble même ironiquement stimulé. Donc, il ne se ferme pas du tout. Des tas de mots et de phrases s’agglutinent dans mon cerveau et empêchent de courtiser Morphée.


Trio de nuit, de Marcel Gagnon

Je n’entends ni bardas, ni gargouillis d’ordinateurs, ni paroles en sourdine; non plus de roucoulements de sécheuse, encore moins de porte de réfrigérateur qui obtempère à une gourmandise liée à une poussée de croissance. Même la chatte a regagné son nid douillet.

J’ai donc coudoyé l’œil de la nuit pour dorer mon écran et caracoler avec mes paragraphes en instance d’histoires. Me suis empressée de calfeutrer mon territoire, y installer ma musique, rêvasser l’œil ouvert, dans mon monde de papier. Me suis abritée sous les propos d’une romancière chevronnée, avec des bas dodus et une camomille fumante. J’étais sous le charme. Complètement toquée à la suite de la projection du documentaire « Sur les traces de Marguerite Yourcenar », un film de Marilù Mallet. Une incursion intimiste dans la vie de l’auteure des Mémoires d’Hadrien qui nous plonge dans l’univers de cette autodidacte d’une érudition exceptionnelle. On ne ressort pas intacte de ce visionnement. Des extraits d’entrevues avec Bernard Pivot, Françoise Faucher, leur éventuelle amitié, leur correspondance, des moments captés à sa charmante maison Petite Plaisance, dans le Maine. Des propos qui vont droit au cœur, un film qui nous élève. Un film à voir et à revoir absolument.


Les œuvres de Marguerite Yourcenar lui survivront très longtemps encore. Je les retrouve, sous la luxure de la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard), un cadeau, bien sûr. M’installe et savoure. Il me semble qu’elle me souffle à l’oreille...en même temps que la musique de Sidney Bechet dans Midnight in Paris, de Woody Allen.
Volupté, quand tu nous tiens!

mardi 25 octobre 2011

Un chemin jusqu’à soi

Je suis en sevrage de consommation vacancière, en ces lieux de prédilection pour assoiffés de repos. Me suis retrouvée coincée dans une fourmilière touristique. Je réclamais seulement l’exil de tâches domestiques redondantes et un asile de sommeil. Bref, je voulais seulement une brindille de vacances, avec une doudou et des livres.

Hélas, le bruit de la musique a bouillonné dans mes oreilles et l'agitation dans mes veines. Ma quête de silence s’est ballottée jusqu’à la plage. Là, j’ai traversé les strates de bleu : cristallin, turquoise, violacé, électrique, le bleu céleste. Ce sont les bleus qui ont sauvé la mise. Et tous mes bouquins qui justifient le surpoids de ma valise.

Ironiquement, le bonheur dans tout ça, c’est la hardiesse de revenir à la maison. La marmaille, les repas santé, ma théière fumante de thé vert japonais sencha, mes écrits, mes légumes bio à cuisiner, tout ce que j’avais cru avoir besoin de quitter et qui m’ensorcelle au retour. Heureuse même de me vautrer dans notre saison de pain d’épices et de muffins aux pommes et à la cannelle.

Ce matin, je savoure l’automne qui se déplume en éclatant le feu de ses entrailles. Ces paysages flamboyants sont indivisibles de nos élans créateurs et de nos tempéraments passionnés. Marcher dans les feuilles craquantes de pigments nous gratifie d’un supplément d’âme. Nous magnifie.

À partir de tous les élements de la nature, des voies infinies s’exhibent. De là l’importance de se déposer de temps en temps, de se délester de la routine, comme les saisons.

Ce qui concourt à retrouver le chemin qui mène à soi.
Un chemin jusqu'à toi, oeuvre de Lynn Garceau

jeudi 13 octobre 2011

Les bienveillantes

J’ai refait le plein de beauté.

C’était pourtant sous un air de saxophone exprimant la tristesse d’un départ. Une famille réunie pour soutenir les endeuillés, avec une connivence et une authenticité vibrante de couleurs d’automne.

Mes tantes et ma mère ressemblent à des sextuplés de cœur : belles comme le soleil, énergiques comme le vent, vives comme le fleuve au printemps. Malgré l’arrière-saison de leur vie, nous, qui demeurons leurs enfants à perpet, avons quelquefois de la difficulté à suivre la cadence. Le temps essaie de faire son œuvre, mais elles sont les chefs. À chaque rencontre – il faudra transcender cette habitude des funérailles —, c’est comme si on revenait d’un pique-nique. Et les souvenirs déferlent. Et les bontés s’agrippent dans cette famille tissée serrée.

Elles sont de la race des « grandes dames », des bienveillantes de notre planète. Sans elles, l’histoire serait sans saveurs et sans odeurs. Elles sont partisanes de leur tribu, et gardiennes éternelles du phare, envers et contre tout. Notre pays est cimenté de femmes comme elles, qui ont rarement pris le large. La liberté revêt un tout autre sens, à leurs côtés.

Que je cuisine un cassoulet de légumes au cari ou une truite moutardée au lait de coco, la fragrance me murmure qu’on n’a rien inventé. Elles ont ratissé le chemin et nous ont aiguillonnées les papilles jusqu’à satiété. Je ne sais comment elles ont maintenu leur souffle, mais je préserve consciencieusement cette volupté d’amour qu’elles ont soigneusement sauvegardée.
Merci, les filles d’Albini et de Blanche!


vendredi 7 octobre 2011

Une bouffée de ménopause

Devenir un modèle lié à la maturité est synonyme d’une période exaltante de thermostat déréglé. Il en découle des conversations hachées par un besoin impératif d’ouvrir la porte-fenêtre lorsqu’il fait 3 degrés à l’extérieur. Et si de surcroit une autre personne baignant dans ces mêmes eaux ruisselantes se retrouve dans une seule pièce, il ne reste plus qu’à la tribu de se prévaloir de petites laines.



La robe de chambre devient béate d’aération, le moment qui suit réclame un pashmina. Thé chaud, eau fraîche, en alternance. La nuit ressemble à un effeuillage burlesque. 
Ne parlons surtout pas des états d’âme. En l’espace de quelques instants, la vie peut prendre un virage dramatique, flamboyant, apocalyptique. Comment se fait-il qu’ils répugnent un potage aux épinards? Qu’il a encore oublié d’ingurgiter sa vitamine D? Qu’ils ne consomment pas assez de légumes? Qu’à cela ne tienne, des adieux à la Greta Garbo sont en lice pour le premier rôle du festival émotif international (FEI).


Je n’ai pas poussé l’étude jusqu’aux liens avec des incidences criminelles, mais je ne serais pas surprise d’apprendre qu'un phénomène de cause à effet sévit lors de cette période « de grâce », version polie de ménopause. Une pause devrait revêtir une connotation affriolante, soit des tâches, soit des pirouettes éducationnelles, selon l’époque où l’on a décidé d’avoir des enfants - une fois la scolarité complétée et la carrière installée. Ce qui signifie que la majeure partie des femmes se retrouvent avec des adolescents en quête d’identité en même temps qu’elles dessinent une mosaïque de bilan de vie. Les premiers bourgeonnent et les secondes friponnent.

Faisons cuire une courge spaghetti, des asperges, aromatisons de tomates, d’ail, d’huile d’olive et de noix grillées. Offrons-nous une magnifique paire de chaussures, plus audacieuses, celles jamais permises. Aussi, un superbe cahier pour y consigner de belles photos, images, reportages, pour illustrer les rêves à réaliser. Et rions à gorge déployée, façon non retenue et pas nécessairement raffinée. Mangeons des pâtes et du chocolat, version sophistiquée, juste pour nous. Et si le lave-vaisselle brise, qu’est venu le moment d’aménager les garde-robes avec les vêtements chauds, déléguons le dossier et déguerpissons une semaine au bord de la mer à boire des margaritas. Il faut bien que la maturité serve à quelque chose…

lundi 3 octobre 2011

Pluie et musique

J’ai sorti mon pyjama de flanelle, signe avant-coureur de la froidure et la mouillure d’automne. Au réveil, la pluie. Inspirant, parfois, surtout lorsqu’on est calfeutré à l’intérieur. Ça apaise, ralentit la cadence, oblige à mettre désormais des chaussettes.



Lorsque je dispose les vêtements d’été dans un nouveau placard, la perte de couleurs fout la déprime. La garde-robe s’endeuille comme novembre. Comment demeurer festif avec cette palette interminable de noir, de gris, de bourgogne? On range le corail, l’orangé, le jaune, le rouge flamboyant, la verte limette. Je ne sais pourquoi les designers ont instauré cette tradition. Peut-être sont-ils moins inspirés à couvrir leurs modèles anorexiques aux teints blafards que de les dévêtir dans leurs collections du soleil printanier rutilant?

Je reviens à la pluie qui embrume ma fenêtre. Je tombe sur le livre de Christine Eddie, Parapluies. Une histoire qui se déroule pendant une trentaine de jours de flotte consécutive. Des personnages à fleur de peau, auxquels on s’attache tendrement. J’ai lu ce bouquin cet été, et je suis avec eux ce matin.

La musicalité se rythme selon la nature du jour.

« La musique est une évasion dans une bulle entre deux mondes, un univers où je retrouve mon harmonie, où je me rebranche avec moi-même. », propose Hervé Desbois, dans Être zen, un jour à la fois (Modus Vivendi).

Celle du jour...